Dans le cadre de mon Master, j’ai réalisé avec deux autres étudiantes une édition, intitulée Troubles, sur le thème des trous noirs.
Pour ce faire, nous avons commencé par des recherches en astrophysique afin d’appréhender correctement le sujet. Nous nous sommes rapidement rendues compte que ce phénomène est encore relativement inconnu. Il est à la fois attirant et effrayant : lorsque que l’on commence à être aspiré par lui, il n’y a pas d’échappatoire. En approfondissant nos recherches, nous avons constaté que ce terme est aussi utilisé comme métaphore pour parler de certains problèmes psychiques.
Notre objectif était de faire ressentir le trou noir sans le montrer, mais également de faire le parallèle entre son sens commun et son sens psychanalytique en parlant de troubles mentaux et notamment de schizophrénie.
Nous avons alors choisi de reprendre la nouvelle de Maupassant, Le Horla : l’oeuvre se présente comme un journal intime, dans lequel l’auteur parle de ses troubles qui grandissent peu à peu, il finit par penser qu’il n’est pas seul, qu’il est pourchassé par un être qu’il ne peut pas voir. Au fil des jours, il observe des événements de plus en plus étranges, il pense qu’une force mystérieuse le menace : il la baptise alors “Le Horla”. On ne sait jamais vraiment si le protagoniste est frappé par une force surnaturelle ou s’il est schizophrène, mais en se documentant sur la vie de Maupassant on constate qu’il est devenu fou à la fin de sa vie et que cette nouvelle pourrait avoir quelque chose d’auto-biographique.
Une fois le texte choisi, nous avons fait diverses expérimentations graphiques et plastiques, chacune de notre côté, mais à partir d’idées communes. Dans un premier temps, nous voulions travailler sur une forme de livre qui permettrait d’arriver à un centre, qui symboliserait le trou noir. Nous avons donc développé cette idée de plusieurs façons (livre à double entrée, ouverture de chaque côté, pliage au centre etc.) avant de réaliser que ce n’était pas le plus judicieux. Nous avons également travaillé sur différents types d’illustrations, sur les couleurs ou encore sur la mise en page de code.
Nous avons finalement choisi de créer une édition à l’allure d’un journal de bord en choisissant un format rappelant un carnet de note avec des lignes qui semblent vieillies, effacées, un papier fin légèrement transparent et une couverture simple, sans titre. De cette manière, lorsque que l’on tombe sur ce carnet, on ne sait pas qui l’a écrit : cela attise la curiosité du lecteur.
Nous avons également voulu mettre en avant la notion d’évolution présente dans la nouvelle ; on se rapproche peu à peu du trou noir, de cette chose inconnue et terrifiante.
Des illustrations apparaissent peu à peu sur les pages : ces formes réalisées en javascript rappellent les déformations des lignes du cahier, mais font aussi référence aux déformations visuelles créées par les trous noirs et aux hallucinations du narrateur. Elles surviennent en même temps que ses premiers symptômes puis grossissent progressivement. Elles attirent l’attention du lecteur et ajoute un côté angoissant, elles s’installent dans la page à la manière du Horla dans la tête du protagoniste. Derrière ces illustrations se cache un code invisible, que n’importe qui ne peut pas comprendre : le trou noir demeure lui aussi une énigme.
Au début du carnet, le lecteur a l’impression que la mise en page est ordinaire : le texte suit les lignes qui sont bien régulières. Puis des déformations apparaissent, sans qu’il ne s’en rende compte immédiatement. Au fur et à mesure elles deviennent de plus en plus présentes, on ne peut alors plus les ignorer. Elles sont parfois en lien direct avec le mot qu’elles ciblent, et mettent en valeur des mots-clefs : terreur, horreur, effrayant. Ce travail sur les déformations s’inspire notamment d’un des travaux de Fanette Mellier, Le bleu du ciel.
Ce projet nous a permis de comprendre les enjeux et les difficultés qu’inclut un travail de ce type en équipe. Nous sommes parvenus à nous entendre, malgré nos différents styles graphiques, et à obtenir un résultat qui nous satisfait toutes les trois.